Popularisation et récupération d’un marginalisme artistique
Le rap, une liberté d’expression mort-née ou mort vivante ?
Plus qu’une simple ligne de démarcation rigide, c’est un jeu de va-et-vient qui s’opère entre la culture officielle et officialisée (ou normalisatrice, car consensuelle) et la culture marginale et officieuse (dite mineure, car anticonformiste). La contre-culture musicale peut être sophistiquée et transformée en commodité économique par le processus d’absorption capitaliste des opportunités commercialisables. « Banalisée » (Durham, Kellner, 2002 : 117) et appelée à se fondre dans la masse officiellement publicisée par l’industrie médiatique, toute opportunité est admise dans le processus de l’offre et de la demande. Grandement assistés par les fanzines et magazines spécialisés, les artistes intériorisent eux-mêmes les règles du jeu du monde de l’économie. Tout comme la spiritualité afro-caribéenne de la reggae music et de son personnage emblématique, Bob Marley, sont devenus, à l’image de l’activisme anti-impérialiste cubain de Che Guevara, une représentation critique rendue consensuelle (c’est-à-dire pratiquement purgée ou relativement déconnectée de toutes attitudes marginales et pensées revendicatrices qu’il a pu avoir), de nombreuses figures de proue du rap américain et français sont enrôlées par d’importants médias internationaux. C’est le cas des rappers Xzibit et de Snoop Dogg (qui animent respectivement les émissions Pimp My Ride et Doggy Fizzle Televizzle sur la chaîne MTV) ; le rap français n’est pas en reste : Joey Starr (exmembre de NTM) ou DJ Kheops (membre de IAM) ont longtemps animé une émission régulière sur la radio nationale Skyrock. De plus, nombreux sont les artistes qui vont jusqu’à signer des contrats avec des marques transnationales incontournables, et donc servir de « mannequins » (ou prestataires de service) pour vanter différents produits industriels : le chercheur Robert McChesney (2004 : 156-157) souligne les transactions et accords entre le groupe Run DMC et la firme de sportswear Adidas (en 1986, les rappers auraient reçu plus d’un million de dollars pour chausser une série de baskets), entre le label de rap Def Jam et l’entreprise informatique Hewlett Packard (en 2002, les deux parties ont fait un échange de bons procédés, avec, d’une part, des titres musicaux divertissants qui habillent les messages publicitaires, et, d’autre part, des instruments informatiques performants).
Laurent Beru
sources : http://questionsdecommunication.revues.org/7936